Méditerranée paysage natal
Une œuvre d’art est bonne quand elle est née d’une nécessité.
C’est la nature de son origine qui la juge.
Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, 1929
Je photographie le paysage méditerranéen pour montrer un des paysages les plus fameux, les plus représentés, espace fondateur de civilisation et de pensée. Pour montrer à la fois la nature pérenne et le paysage façonné par l’homme, l’impact de la modernité.
Cette Méditerranée est pour moi terre de chaleur, de champs de blé noirs de soleil, de fragrances d’oranger, de plages suaves et de brûlures. Elle est aussi mon domaine littéraire de prédilection avec Albert Camus, René Char, Jean Giono, Neguib Mahfouz, Cesare Pavese, Elio Vittorini ; elle m’incite à méditer les œuvres de Paul Cézanne, de Pierre Bonnard et des peintres régionaux du Sud de la France ; elle s’est incarnée pour moi à la perfection dans L’Avventura de Michelangelo Antonioni.
Mes références photographiques plongent dans le passé fondateur des explorateurs du dix-neuvième siècle, mais j’assume aussi l’héritage des grands contemporains que j’ai exposés, édités, enseignés : leur esthétique définit les bases de la photographie moderne. C’est grâce à leur fréquentation que je peux faire ces photographies, hommage rendu à mes rêves d’adolescent par l’homme que je suis devenu.
Je n’ignore pas que la Méditerranée est de nos jours espace de déchirures et de guerres. Espace où l’agriculture et le tourisme industriels produisent des paysages où la hideur le dispute à l’inhumain, et que c’est une mer où les pêcheurs ramènent parfois dans leurs filets les cadavres des migrants. Si j’en donne une image harmonieuse, c’est parce que je veux garder espoir dans l’univers qui m’a façonné, convaincu avec Fernand Braudel, que le paysage est la forme en creux de l’homme, et qu’il faut comme Camus, imaginer Sisyphe heureux.
( In Méditerranée paysage natal. Maquette en quête d’éditeur.)